Archives bancaires et esclavagisme

Un débat nourri s'annonce au Parlement de la ville de Zurich, autour d'archives pour le moment tenues secrètes au Crédit Suisse, et qui concernent l'implication suisse dans l'esclavagisme.

 C'est un débat assez singulier qui doit avoir lieu au parlement de la ville de Zurich. Les députés zurichois vont discuter de la nécessité d'obliger le Crédit Suisse à ouvrir des archives vieilles de 200 ans. Ces archives appartiennent à la Banque Leu, qui est aujourd'hui une filiale du Crédit Suisse. Elles évoquent l'engagement financier de la banque dans le commerce des esclaves. Des historiens avaient demandé à avoir accès à ces documents, mais ils se sont heurtés au refus du Crédit Suisse, qui a invoqué le secret bancaire. Du coup, l'affaire a pris une tournure politique. La Liste Alternative Zurichoise demande une intervention de la ville de Zürich.

Pourquoi le Crédit suisse refuse d'ouvrir ses archives

Que le Crédit Suisse n'entende pas ouvrir ses archives à des historiens peut étonner, dans la mesure où il s'agit d'une affaire vieille de plus de 200 ans et dont les protagonistes sont forcément décédés. En outre, le secret bancaire est réglé par l'article 34 de la Loi fédérale sur les banques, qui date du 8 novembre 1934 seulement. Dès lors, pourquoi la grande banque helvétique ne souhaite-t-elle pas ouvrir ses archives ?

Un débat à rebondissements

Il est difficile de prévoir ce que sera la décision du parlement de la ville de Zurich. Reste que ce débat constituera un nouvel épisode dans un feuilleton à rebondissements.

La recherche des historiens zurichois n'est pas la première sur l'implication de Suisses dans l'esclavagisme. Deux livres sont déjà parus. Le premier, édité en 2005, avait suscité un débat jusqu'au parlement. Coïncidence, c'est aujourd'hui que sort de presse sa version française.

Le titre original allemand de l'ouvrage était "Reise in Schwarz-weiss", soit voyage en noir-blanc. Mais l'auteur, l'historien ouvertement de gauche Hans Fässler, en a choisi un beaucoup plus provocateur pour la version en français: « Une Suisse esclavagiste, voyage dans un pays au-dessus de tout soupçon. » C'est une référence claire, assumée et acceptée à « Une Suisse au-dessus de tout soupçon », le pamphlet de Jean Ziegler contre les banques suisses, paru il y a 30 ans...

Sombre tableau

Hans Fässler, comme Jean Ziegler à l'époque, dresse un tableau très sombre de l'attitude de quelques grandes familles suisses, qui auraient bâti leur fortune, il y a plus de deux siècles, en participant de près ou de loin au fameux commerce triangulaire. Ces familles, selon l'auteur, possédaient des plantations, donc des esclaves, et ont donc tiré profit du commerce des produits coloniaux. Au cours du 18e siècle, il faut le savoir, l'industrie textile suisse a importé plus de coton que l'Angleterre. Les banquiers, quant à eux, ont co-financé la traite des Noirs, et des mercenaires helvétiques se sont mis au service de gouverneurs de colonies.

Enfin, Hans Fässler, accuse certains scientifiques suisses d'avoir donné leur caution idéologique à l'esclavage et au racisme. Parmi eux, Louis Agassiz. Il est vrai que les thèses créationnistes du savant neuchâtelois, qui ont alimenté sa longue querelle avec Darwin, l'obligeaient à affirmer la supériorité de l'homme blanc...