L‘Europe négrière (Q 06)

La plupart des nations européennes ont été plus ou moins concernées par le phénomène négrier selon qu'elles ont armé des navires ou qu'elles ont borné leur rôle au financement ou à la constitution des cargaisons et des équipages.

Considérant la seule traite par l'Atlantique, trois pays se détachent nettement dans la première catégorie en totalisant 89,9 % des expéditions : l'Angleterre vient largement en tête avec 41,3 %, suivie du Portugal et de la France avec respectivement 29,3 % et 19,2 %. Il reste des miettes pour les nations du Nord : 5,7 % pour la Hollande, 1,2 % pour le Danemark. (Quant aux 3,2 % qui manquent pour faire le compte, ils appartiennent à l'Amérique.) Un pays européen de poids ne figure pas dans ces statistiques : l'Espagne. Sa Majesté Très Catholique, dont les colonies américaines consommaient pourtant beaucoup d'esclaves, en concédait le monopole du commerce à d'autres plutôt qu'à ses sujets. Grâce à un privilège ou contrat dit de l'Asiento, les Génois, les Portugais, les Hollandais, les Français, les Anglais et les Basques enfin, se succédèrent dans le transport des captifs à destination des possessions espagnoles. D'autres pays ne figurent pas davantage pour la raison que leur participation fut de portée moindre voire anecdotique, ainsi la Flandre, la Prusse, la Norvège, la Suède ou encore la Russie. Tout pays ayant une façade maritime et un peu d'ambition coloniale était à même d'avoir une impulsion négrière. Mais il y en avait d'autres.

Un pays comme la Suisse compensait son handicap géographique par la densité de son réseau commercial européen. De grandes sociétés implantées à Neuchâtel, Genève ou Bâle avaient des filiales dans les grands ports comme Nantes et Bordeaux et elles entretenaient des relations étroites avec les firmes et les banques d'origine protestante. Quand les négociants suisses n'armaient pas eux-mêmes, ils investissaient ou fournissaient des textiles appropriés à la traite.

Manufacturer des articles pour la traite était une manière indiscutable de participer au trafic négrier. De ce point de vue, la liste n'en finirait pas de toutes les villes et régions concernées : fusils à Saint-Étienne, Liège ou Birmingham, sabres et couteaux flamands, bassins de cuivre à Amsterdam, barres de fer d'Espagne ou d'Europe du Nord, indiennes nantaises ou angevines, toiles de Silésie, Saxe ou Westphalie, verrerie de Murano ou de Bohême, etc.

S'engager dans la marine négrière était une autre manière. A certaines époques, les équipages étaient très cosmopolites : les marins descendus des rives de la mer du Nord et de la Baltique côtoyaient leurs confrères du Sud : de Lisbonne, d'Espagne ou de Gênes.

L'Europe négrière fut donc une réalité tangible. Les navires et leurs équipages, les cargaisons et les capitaux provenaient des quatre coins du continent, se croisaient et s'échangeaient pour une même cause : le commerce des nègres à la côte d'Afrique.

[aus einer nicht mehr zugänglichen Website des französischen Aussenministeriums]