Esclavage (2): de Port-au-Prince à Saint-Gall
swissinfo 3 avril 2003 10:35

Toussaint Louverture, héros de l’indépendance haïtienne, se glisse subrepticement dans le bicentenaire de
l’entrée de Saint-Gall dans la Confédération.

Grâce à un professeur atypique d’anglais et d'histoire : le politicien et cabarettiste Hans Fässler.

C’est en cherchant le thème d’un spectacle pour le bicentenaire du Canton de Saint-Gall que Hans Fässler est tombé – par hasard - sur Toussaint Louverture.

«Je cherchais un autre bicentenaire pour ironiser un peu à propos de celui du canton, parce que je craignais que celui-ci soit très patriotico-cantonal. Et en tapant l’année 1803 dans un moteur de recherche, sur Internet, je suis tombé sur l’indépendance haïtienne et Toussaint Louverture», explique-t-il.

«Louverture stirbt 1803»

Quelques coïncidences frappent le politicien socialiste… La mort de Toussaint, qui a lieu exactement une semaine avant la première réunion du Grand Conseil saint-gallois. Et le fait que parmi les soldats envoyés en Haïti par Bonaparte, pour y mater la rébellion indépendantiste, se fussent trouvés 600 suisses, dont des Saint-Gallois.

Fässler tient alors son sujet. Il va monter un spectacle intitulé «Louverture stirbt 1803» (Louverture est mort en 1803), qui, mêlant chansons, sketchs et projections, est une sorte de «kaléidoscope» qui emmène les spectateurs de Saint-Gall au Fort de Joux, d’Haïti à Ajaccio.

Un spectacle qui aborde également la question plus générale de l’esclavage. Car au lieu de s’arrêter à la stricte coïncidence des bicentenaires, Hans Fässler s’est lancé dans une véritable recherche qui a débouché, aujourd’hui, sur des implications politiques.

«Pour moi, cela a été un choc de découvrir que Saint-Gall, la ville où je suis né et où je vis, a tenu une place très importante dans les relations entre la Suisse et la traite des noirs», se souvient Hans Fässler.

Saint-Gall, qui, dans l’ordre d’importance en la matière, vient juste après Genève. Mais on peut aussi citer Appenzell, Thurgovie, Schaffhouse, Zurich, Berne, Bâle, Neuchâtel, Vaud…


Un nouveau regard

«Je ne prétends pas avoir étudié les sources de premier degré. Mais déjà avec ce qu’on trouve dans la littérature historique, on peut proposer une nouvelle image de la Suisse au 18ème siècle», relève Hans Fässler.

Ses recherches, il les a donc menées dans les livres, notamment à partir de «La banque protestante en France», de l’historien Herbert Lüthy: «Lüthy ne s’intéressait pas à la traite négrière, il s’intéressait aux relations bancaires. Mais les notes de bas de page apportent beaucoup. Dispersés dans la littérature, on trouve là un essai, là un article…»

Quoi qu’occultée, la question des relations entre la Suisse et l’esclavage n’est pas nouvelle. De nombreux textes en font mention. C’est donc le regard qui doit être neuf: «Je crois qu’on n’a jamais essayé de lire ça dans une idée de totalité historique».


Le déclic de Durban

En septembre 2001, l’ONU tenait à Durban, en Afrique du Sud, une «Conférence Mondiale contre le Racisme. La question des réparations, des indemnisations dont l’Europe serait éventuellement redevable à l’égard de l’Afrique et des populations noires du continent américain, était à l’ordre du jour.

En marge de cet événement, Hans Fässler note une phrase en particulier, celle d’un diplomate suisse qui, de retour de Durban, déclare en substance que, quoique la Suisse n’a rien à voir le colonialisme et l’esclavage, elle coopéra sur ces questions.

«Rien à voir le colonialisme et l’esclavage»… Pour Hans Fässler, une contre-vérité et donc la nécessité d’un combat à mener: «Si dans cinq ou dix ans, plus personne n’ose dire une chose comme ça, je crois que j’aurai atteint un résultat.»

swissinfo, Bernard Léchot