Sur les trésors

(Allocution prononcée le 7 avril 2009 à l'occasion du dépôt des gerbes au Fort de Joux, devant les participant(e)s du pèlerinage Toussaint Louverture, le Maire de Pontarlier, des député(e)s à l'Assemblée national et de nombreux élus de la région et du département)

Quelques mots au nom de la délégation suisse et au nom de Henry Désir, le fondateur de ce pèlerinage.

Permettez à un suisse, à un natif du pays du secret bancaire, à un habitant d'un paradis fiscal, permettez à un ami de Jean Ziegler qui a publié en 1990 son livre "La Suisse lave plus blanc", de parler dans ces jours de crise économique, une semaine après le sommet du G-20 à Londres, de parler des trésors et des coffres-forts.

Lorsque les troupes napoléoniennes ont occupé Berne, l'état le plus puissant de l'ancien régime helvétique, ils ne se sont pas seulement emparé des trois ours adultes de la Fosse aux ours pour les emmener à Paris, mais aussi du trésor municipal, le coffre-fort de 7 million livres en or et en argent. Quelques jours avant, un patricien bernois avait encore essayé de cacher une somme considérable de ce coffre-fort. Napoléon avait besoin de cet argent bernois pour son expédition en Egypte. Ironie du sort: Une partie de cet argent bernois était le profit de l'investissement dans la compagnie anglaise de la Mer du Sud, une spéculation énorme dans toute Europe avec la colonisation et l'esclavage.

Des conquistadors à la recherche des trésors d'or des aztèques, des incas et des mayas jusqu'au grandes puissances capitalistes d'aujourd'hui, un seule logique: cacher les fortunes accumulés, les trésors et les coffres-forts, cacher les profits de la corruption et du pillage des états du tiers-monde, cacher l'argent du blanchiment ou bien détecter les trésors pour financer ultérieurement de nouvelles entreprises colonialistes, néo-colonialistes et capitalistes.

J'espère qu'il n'y ait pas de malentendu: Je suis tout à fait pour la justice fiscale, pour l'abolition de la honteuse différenciation suisse entre l'évasion fiscale et la fraude fiscale. Je faisait partie dans les années 1980 d'une campagne suisse, d'une initiative populaire pour l'abolition du secret bancaire, un initiative tellement radicale à l'époque qu'on était pratiquement excommunié de la société suisse, qu'on aurait pareillement pu essayer l'abolition des Alpes, du fromage ou du chocolat. Et j'ai quelquefois honte de mon pays natal qui a caché dans ses trésors bancaires les fortunes criminelles des dictateurs comme Sani Abacha (Nigéria), Mobutu (l'ancien Zaïre), Jean-Claude Duvalier (Haïti) et Ferdinand et Imélda Marcos (Philippines).

Et pourquoi ceci a affaire à Toussaint Louverture dont nous commémorons aujourd'hui le 206ème anniversaire de sa mort? N'oublions pas que, en septembre 1802, Napoléon avait chargé le général Caffarelli "d'obtenir des renseignements sur l'existence des trésors de Toussaint Louverture". Voilà encore une fois la logique des grandes puissances et des classes dirigeantes: accumuler des fortunes, cacher des fortunes, détecter des fortunes. Naturellement Cafarelli n'a pas obtenu des informations concernant les trésors de Toussaint Louverture parce qu'il n'en existait pas. Voilà donc encore une fois la logique des grandes puissances et des classes dirigeantes – de la colonisation au 16ème siècle à la politique envers les peuples du sud au 21ème: que leurs représentants n'arrivent pas à comprendre que la majorité de l'humanité n'a ni l'intention ni la possibilité d'accumuler des trésors, encore moins de les cacher. Parce que pour eux la préoccupation quotidienne c'est de survivre et d'essayer d'organiser pour eux-mêmes et leurs familles une vie décente en paix.

Voilà la leçon à apprendre de Toussaint Louverture: Il nous a rappelé depuis 200 ans et il nous rappelle toujours qu'il existe, au-delà de la logique de l'accumulation et de la détection des trésors, au-delà des passions soi-disant humaines de l'avidité et de l'avarice, une autre logique et d'autres qualités, d'autre valeurs, un autre discours, qu'il nous faut nous réapproprier dans ces jours de crise: la justice, l'égalité, l'humanité, les droits de l'homme et de la femme.

Je vous remercie.